Le langage est foncièrement lié au désir de domination sociale. Il cherche l'ascendant. Sa fonction est le dialogue et le dialogue, quoi qu'on en dise de nos jours, c'est la guerre.
Pascal Quignard – Entretien avec Catherine Argand - Février 1998
Le dialogue paraît en lui-même constituer une renonciation à l'agressivité.
Jacques Lacan
Pourquoi rapprocher ces deux citations ? S’agit-il de montrer que le jour où on trouvera un philosophe d’accord avec un autre philosophe n’est pas arrivé ?
Ou bien serait-ce pour montrer un cas exceptionnel où Lacan est du côté de l’observation de bon sens ?
Si on veut. Mais l’idée que je voudrais développer est un peu plus retorse : le dialogue ne serait-il pas un moyen de réconcilier le désir de domination sociale et l’absence d’agressivité ?
Essayions en effet de faire marcher cette hypothèse : toute domination n’implique pas forcément l’agressivité.
--> Il y a certes la domination acceptée – voire souhaitée – par le dominé : c’est le cas de la soumission volontaire, qui peut être de nature masochiste, mais qu’on trouve aussi bien dans le cas de l’incapacité à se sortir tout seul d’une situation difficile. Toutefois, dans tout cela le dialogue ne joue sans doute pas un grand rôle.
--> Mais on peut percevoir aussi l’échange verbal comme étant un moyen d’assurer une domination sur autrui qui exclue l’usage de la violence.
Bon : j’avoue que la violence de certains propos peut contredire ce que je viens d’écrire – mais aussi pourquoi parler encore de dialogue ? La logomachie serait un terme plus approprié.
Mon propos n’a donc de sens que si il y a un usage du langage qui assure une domination douce, indolore, à laquelle on se soumet sans s’en rendre compte.
On l’a sans doute compris : nous parlons de la rhétorique, et des sophistes qui l’ont développée à Athènes dès le 5ème siècle.
Dès son origine, la philosophie s’est constituée contre ce modèle, avec les Dialogues de Platon.
Est-ce à dire que les sophistes ne dialoguaient pas ? Evidemment non. Mais le dialogue sophistique avait pour fonction de contraindre la pensée de l’interlocuteur en l’intégrant, alors que le dialogue socratique avait celui de permettre d’enfanter sa propre pensée.
(A suivre…)
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