Tant qu'il y aura des yeux reflétant les yeux qui les regardent ; tant qu'une lèvre répondra en soupirant à la lèvre qui soupire ; tant que deux âmes pourront se confondre dans un baiser, il y aura de la poésie !
Gustavo Adolfo Bécquer – La Poésie est éternelle
Tableau de Magritte : Les amants (1928)
Magritte I
Ceux qui lisent de temps à autre ce Blog le savent : je n’aime rien tant que donner dans la poésie bien sirupeuse, bien sucrée, pour en souiller le rose bonbon… Reste de stade anal mal rééduqué ? Peut-être.
Mais avouez que Gustavo Adolfo Bécquer, il y va fort. Passe encore pour la définition de la poésie – mais pour l’exemple donné : le baiser, fusion de deux âmes, ça fait beaucoup…
D’où, ce tableau de Magritte qu’on dirait fait exprès pour répliquer à notre poète.
Laissons de côté l’aspect contradictoire de ce baiser qui ne peut fusionner quoique ce soit, parce qu’il est contraint de filtrer au travers de deux voiles.
On peut donner deux interprétations de ce tableau :
- la première se contente de dire que les baisers – surtout les baisers à la colombe – sont absolument anti-hygiéniques.
Un exemple de cette interprétation dans ce souvenir personnel : un jour j’ai été accidenté, jambe cassée et opérée en urgence. L’anesthésie dans ce cas consiste en une péridurale qui endort la jambe, mais laisse parfaitement conscient de tout le reste.
Une infirmière arrive en cours d’opération : elle a le masque de tissu réglementaire en milieu stérile. En entrant elle rencontre une copine infirmière comme elle, masquée comme elle : elles se font la bise, ou plutôt le masque de l’une embrasse le masque de l’autre. Un baiser parfaitement aseptique – nul doute qu’on pourrait suggérer ça à notre ministre de la santé qui se retrouve avec un stock inimaginable de masques anti-grippe.
- La seconde interprétation est plus sérieuse. Elle prend l’exact contre-pied de notre citation. Dans le baiser en apparence le plus fusionnel on ne trouve que l’assouvissement du désir qui ne cherche dans la bouche baisée qu’un objet de jouissance, et qui ne livre rien de l’âme du « baiseur ». Dans le baiser, on reste donc dans l’anonymat de la pulsion, ce que symbolisent ces voiles qui masquent les visages des amants de Magritte.
D’ailleurs ce genre de baiser ne se donne que les yeux fermés.
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