Quelle vanité que la peinture qui attire l'admiration par la ressemblance des choses, dont on n'admire point les originaux !
Pascal – Pensées
Le fait d'imiter est inhérent à la nature humaine dès l'enfance; et ce qui fait différer l'homme d'avec les autres animaux, c'est qu'il en est le plus enclin à l'imitation : les premières connaissances qu'il acquiert, il les doit à l’imitation, et tout le monde goûte les imitations. La preuve en est dans ce qui arrive à propos des oeuvres artistiques; car les mêmes choses que nous voyons avec peine, nous nous plaisons à en contempler l'exacte représentation, telles, par exemple, que les formes des bêtes les plus viles et celles des cadavres.
Aristote – Poétique chapitre 4 (48b)
Ne chicanons pas Pascal en disant que la peinture n’a pas pour fonction d’imiter mais de transfigurer. Prenons plutôt l’idée d’imitation au sérieux : à quoi bon imiter la nature ? Ne ferait-on pas mieux de créer les formes et les objets qui nous plaisent plutôt que de reproduire ce qui existe déjà ? C’est ce que disait Hegel dans un texte resté célèbre.
Pour Aristote, l’imitation (mimèsis) correspond à une tendance fondamentale : l’homme est un animal « mimétique », un zoon mimetikon. La satisfaction de cette tendance est indépendante de la chose reproduite : ici, même les bêtes les plus viles, mêmes les cadavres dont la présence nous dégoûte, deviennent agréables quand il s’agit de leur représentation. Et la peinture n’est pas sans doute la seule forme d’art pouvant illustrer ce cas : la poésie le fait également – qu’on songe à la charogne de Baudelaire (1).
Aristote nous fournit une explication du phénomène : l’imitation est la première étape sur la voie de la connaissance. Imiter, c’est découvrir la chose, c’est en faire l’inventaire, c’est se l’approprier (2). Dans ce cas, il ne s’agit plus de savoir si l’objet est agréable à nos sens, mais bien si nous pouvons découvrir sa nature. Je dirais que la nature de l’homme est plus épistémique que mimétique.
Bref : sommes-nous plutôt des créateurs ou des imitateurs ? La balance penche-t-elle plutôt vers Pascal et Hegel, ou vers Aristote ?
Les neuro-sciences nous apportent un début de réponse : la découverte des neurones-miroirs éclaire en effet le processus d’imitation, en l’enracinant dans le fonctionnement instinctif du cerveau humain.
Mais comme ce processus a été découvert d’abord chez d’autres primates, nous ne pouvons néanmoins pas souscrire à la thèse d’Aristote qui fait de la mimèsis un caractère distinguant l’homme de l’animal.
Mais ça on le savait bien, puisqu’on réprimande les enfants qui singent les adultes.
-----------------------------
(1) Lecture à éviter si vous avez déjeuné il y a moins de 4 heures.
(2) C’est aussi ce que dit Lévi-Strauss à propos de la peinture flamande dans un passage (que je n’ai pu retrouver) de la Pensée sauvage.
No comments:
Post a Comment