Aucun animal, hors toi, ne connaît les embrassements; tout ton corps est sensible; tes lèvres surtout jouissent d'une volupté que rien ne lasse, et ce plaisir n'appartient qu'à ton espèce; enfin tu peux dans tous les temps te livrer à l'amour, et les animaux n'ont qu'un temps marqué.
Voltaire – Dictionnaire philosophique (1764) Amour
Dans cet article, Voltaire s’attache à définir l’amour humain par contraste avec l’ « amour » tel que l’animal le pratique.
Dans le monde animal, loin d’évoquer les embrassades des pigeons fidèles, Voltaire pense plutôt aux ébats de l’étalon et de la cavale – la description qu’il en donne montre que le solitaire de Ferney a dû observer avec soin la saillie chevaline.
Certes, nous connaissons comme les animaux les élans du rut ; mais parce qu'ils ne connaissent que le rut, ils ignorent ce que nous-mêmes connaissons : l’amour en tout temps. (1)
Petite histoire de l’amour (humain puisque les animaux n’ont point d’histoire) selon Voltaire :
1 – Au début sans doute les hommes et les femmes se sont aimés comme des bêtes ;
2 – Puis le développement de la civilisation a affiné les organes de la jouissance et les ont rendus capables de plus de sensation. A cela s’ajoutent tous les sentiments qui se développent avec le temps – dont principalement l’amour-propre (2).
Donc, l’homme serait supérieur à l’animal dans les choses de l’amour ? Brassens aurait eu tort de vanter les mérites du gorille comparé à la petitesse de l’homme ? Sans doute… mais écoutez la suite.
3 – L’amour a été chez l’homme - et chez l'homme seulement - empoisonné par la maladie, cette peste qu’on nomme aussi le mal de Naples, la vérole – ou la syphilis comme aujourd’hui. Certains y ont vu un châtiment divin à l'égard des débauchés. Mais pour Voltaire il s'agit d'un évènement strictement lié à l'histoire humaine. Il rappelle en effet les noms de Messaline et de toutes les autres courtisanes romaines qui ont , de leur temps, copulé à tout vent sans jamais avoir cette maladie. Pour preuve que seule l’histoire et non la volonté divine est à invoquer, il rappelle aussi que César, Antoine, Octave ont été indemnes de la syphilis qui a tué François 1er.
L’amour est donc une grande conquête de la civilisation et de l’humanité – à condition de sortir couvert.
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(1) On se rappelle peut-être l’apitoiement de Ninon de Lenclos à l’égard des tourterelles… (voir ici)
(2) L’édition de cet article remonte à 1764 – soit 9 ans après que Rousseau ait évoqué ces idées dans le Discours sur l’inégalité…
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