Citation du 20 octobre 2011

Le français ne veut exprimer que des choses claires ; or les lois les plus importantes, celles qui tiennent aux transformations de la vie, ne sont pas claires : on les voit dans une sorte de demi-jour. C'est ainsi qu'après avoir aperçu la première les vérités de ce qu'on appelle maintenant le darwinisme la France a été la dernière à s'y rallier. On voyait bien tout cela, mais cela sortait des habitudes ordinaires de la langue et du moule des phrases bien faites. La France a ainsi passé à côté de précieuses vérités, non sans les voir, mais en les jetant au panier, comme inutiles ou impossibles à exprimer.

Ernest Renan – L'Avenir de la science (1890)

Remarquons d’abord que l’originalité du darwinisme est d’être une théorie scientifique toujours contestée, après un siècle et demi d’usage et de validation. Et remarquons aussi qu’après avoir été les premiers à la connaître, les anglo-saxons sont les derniers à la contester.
Tout cela est bien en vue et bien souvent discuté. Mais ce que je voudrais remarquer aujourd’hui, c’est le fait que comme le dit Renan, nous voulons qu’une vérité soit toujours parfaitement claire, nous voulons arriver jusqu’aux dernières articulations de ses raisonnements ; nous voulons la connaitre comme on connait une démonstration mathématique. En bref, nous sommes encore tout à fait cartésiens.
S’agit-il (comme on le dit ici) d’un atavisme dû à la langue française ? Ou seulement d’une force particulière de la raison ? En tout cas, les philosophes qui ont cultivé la haine de la raison (misologie) ont dénoncé sa suffisance (Rousseau) ou l’orgueil dont elle fait preuve (Pascal).
Reste qu’on est bien en présence de cette certitude qu’on ne peut connaître ni comprendre sans tout connaitre ni tout comprendre. Et pourtant, Newton, devant l’inexplicable attraction universelle formulait son célèbre « Hypotheses non fingo » (Je ne fais pas d’hypothèses) : je ne comprends pas comment cela se fait, mais ça existe et on peut construire une représentation scientifique du monde là-dessus. (Lire ici)
Toutefois, la science reste en charge de cette explication manquée : voyez le LHC (1). Il s’agit bien de découvrir le boson de Higgs, supposé détenir le mystère devant le quel reculait Newton.
Maintenant, la théorie de l’évolution est un peu différente : Darwin n’a pas dit « Je ne fais pas d’hypothèses ». Il a dit que le hasard des mutations et la nécessité de la sélection naturelle suffisait à comprendre. Mais en même temps, comment prétendre tout comprendre quand le hasard intervient ?
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(1) Grand collisionneur de hadron (ici) :