On ne peut rien dire de Dieu, même qu'il n'existe pas.
Raymond Queneau – Journal
Raymond Queneau est à la fois très cultivé et très iconoclaste. On dirait même que sa joie est de détourner de morceaux de Culture (avec un grand « C ») en jouant sur tel ou tel mot qui le constitue (1).
Mais le mieux encore est quand il peut y glisser une allusion qui ne sera saisie que par certains – et invisible à tous les autres. Là est je crois pour lui le comble de la jouissance : passer devant les ignares comme une ombre, et n’éclairer que ceux qui savent : tel est son élitisme.
Bon disons-le alors pour ceux qui feraient partie des ignares et qui malgré tout liraient ce Blog (ça, je n’arrive pas à le croire) : le jeu de Queneau porte sur la formule concernant le néant : car, c’est de lui qu’on dit habituellement « Du néant, on ne peut rien dire, même qu’il n’existe pas. ». Ce qui fait que sa phrase doit être entendue comme s’il disait : « Dieu, c’est le néant, et c’est pour cela qu’on ne peut même pas dire de lui qu’il n’existe pas. »
Oui, mais alors : pourquoi ne le dit-il pas ? Pour faire jouir ceux qui comprennent, parce qu’en pensant que leur voisin n’a pas compris, ils vont se sentir très intelligents ? Ou pour renforcer sa pensée en la faisant formuler par son lecteur (comme quand on met des points de suspension) ? Ou pour faire vite ?
Je ne sais pas trop : en tout cas c’est une situation beaucoup plus répandue qu’on ne le croirait, et je pense en particulier à Rousseau qui écrit quelque part (2) : Je n’écris pas pour ceux à qui il faut tout dire.
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(1) Exemple : « Il y a deux sortes d'arbres : les hêtres et les non-hêtres ». C'est aussi une allusion au principe du tiers exclu.
(2) Là je ne laisse pas du flou dans ma citation pour faire le malin, mais simplement parce que je ne me rappelle plus où j’ai lu ça ; je crois que c’est dans une préface. Si quel qu’un la retrouve, qu’il me le dise. En tout cas, c’est une ignorance que je regrettais déjà l’an dernier.
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