Les mots «faire l'amour» ont une séduction à eux, très verbale, en les séparant de leur sens. Ce terme de «faire», matériel et positif, uni à cette abstraction poétique du mot «amour», m'enchantait.
Françoise Sagan – Bonjour tristesse (1954 : Sagan a 19 ans quand elle publie Bonjour tristesse.)
Ce terme de «faire», matériel et positif, uni à cette abstraction poétique du mot «amour», m'enchantait : cette remarque est en effet très éclairante, mais elle souligne en même temps l’ambiguïté du mot « amour » dans l’expression « faire l’amour ».
Car, faire l’amour, on voit bien ce que c’est : il n’est nul besoin de faire un dessin (même si des polissons le réclament). Du coup, on observe qu’en toute rigueur, il n’est pas besoin d’aimer pour faire l’amour à quelqu’un. C’est donc l’usage du mot amour qui fait question : qu’est-ce qu’il vient faire là ?
On peut répondre que puisqu’on peut faire l’amour avec amour, alors l’expression est justifiée.
J’en doute. Il faudrait pour ça montrer que l’amour – le vrai, le grand, l’unique – culmine dans cet acte, que nulle autre relation n’en exprime à ce point la vérité et l’intensité ; or c’est justement là-dessus que Françoise Sagan s’interroge : comment « souder » ensemble l’acte matériel et positif, et cette abstraction poétique ? N’est-ce pas, comme on dit, le mariage de la carpe et du lapin ?
Mais au fond, plutôt que de s’en étonner, considérons qu’il y a naturellement une contradiction interne dans l’acte sexuel fait par amour.
Reprenant la thèse de Platon (dans le Banquet), on remarque d’abord que faire l’amour c’est tenter de fusionner avec l’autre, de reconstituer l’être unique qui a été coupé en deux par le décret de Zeus et qui se reconnait dans le couple constitué des amants. L’abstraction poétique dont parle Sagan n’est autre que la forme verbale qui cherche à pérenniser cette tentative dont le résultat est habituellement assez furtif.
Mais à côté de cette fusion amoureuse, on trouve la violence et la domination ; Freud l’a amplement signalé : l’ambivalence des sentiments s’exprime pleinement dans la sexualité, qui s’épanouit avec l’extériorisation de la violence. La preuve : même si on n’en vient pas des relations SM, je ne doute pas que des morsures bien appliquées (et au bon moment) ne soient des preuves du paroxysme amoureux – Je t’aime, je te mange.
Non, je ne ferai toujours pas de dessin.
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