Le début de l'hygiène, c'est haïr les microbes des voisins.
Réjean Ducharme – L'hiver de force
Ce sont nos amis québécois qui pourraient nous parler plus savamment que je ne saurais le faire de Réjean Ducharme. Moi ce qui me fascine en cet homme, dont je ne connais pas l’œuvre – pour l’instant du moins – c’est le fait qu’il n’existe que deux photos de lui : l’une quand il était jeune homme et une autre où il est jeune encore et en trappeur. Comme il doit avoir aujourd’hui 70 ans, je trouve que cette constance dans le refus de l’image est un exemple magnifique de volonté et de persévérance.
Hygiène rime avec exogène – ou plutôt endogène. Enfin, vous m’avez compris : se considérer pollué par des microbes, c’est aussi se sentir envahi par des corps étrangers, radicalement différents de ceux qui sont en nous.
Nos microbes, ça va – Mais ceux des autres : danger !
Je note que selon notre auteur, la haine des voisins est un sentiment qu’on va valoriser et juger positivement, parce que nécessaire à la santé. Les étrangers sont malsains et malpropres, mais bien entendu l’hygiène n’est ici qu’une allégorie.
Tout cela est bien connu, et je ne m’y attarderai pas. Sauf que… Si les étrangers sont tellement inquiétants, c’est pour l’étrange paradoxe qu’ils manifestent. C’est que les étrangers sont à la fois différents de nous mais aussi comme nous : ces hommes, ces femmes, ces enfants pourraient faire partie de notre famille – et c’est bien pour cela que nous les rejetons comme une menace.
C’est à Freud qu’on doit l’analyse de cette angoisse soulevée par la présence de cette « inquiétante étrangeté » (1) : je ne me risquerai pas à détailler en si peu de lignes la thèse développée par Freud, mais qu’on se rappelle simplement que l’exemple qui lui sert de support est celui du conte d’Hoffmann Der Sandmann (p. 55 de l’édition électronique) mettant en scène un automate étrangement ressemblant à une femme véritable ; où l’on découvre finalement que ce qui inquiète c’est précisément que cette machine nous ressemble, mais sans pour autant s'identifier à nous : l’étranger nous angoisse parce qu’il apparait comme notre double.
En tout cas voilà une thèse qui renouvelle la question de la xénophobie en nous épargnant les propos si convenus sur la concurrence économique et les flux migratoires : car l’étranger, c’est peut-être déjà mon voisin qui est berrichon.
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(1) Sigmund Freud – L’inquiétante étrangeté – Traduction de Marie Bonaparte et E. Marty – On peut lire ici le texte de Freud accompagné d’une fort intéressante introduction de François Stirn.
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