Faut... Faut... Faut... Mot sage, mot compatissant que nous prétendons détester, mais que nous serrons contre notre cœur, et sans lequel nous ne serions plus. Comme nous l’aimons, ce bruit de wagons, qu’on raccroche sur une voie de garage.
Virginia Woolf, Les Vagues.
Madame Yaka et Monsieur Ilfaut… Comme il est facile d’ironiser sur les donneurs d’ordres, quand bien même ils les réserveraient à eux-mêmes.
Profitons-en pour nous rafraichir un peu en lisant Virginia Woolf.
Car bien sûr nous ne nous attendions pas à ce bruit de wagons que font les « Faut... Faut... Faut... » qui défilent dans notre journée : l’obligation ne vient jamais seule, mais bien accompagnée par une armée d’autres obligations toutes aussi contraignantes. Une obligation n’en chasse pas une autre : elle en amène une autre. Quand vous êtes entré sur cette voie vous n’êtes pas prêt d’en sortir – et en plus, c’est une voie de garage !
1 - Qu’une obligation en amène une autre n’est pas pour nous surprendre : nous savons bien qu’il s’agit alors de contrôler le temps et l’espace – ou en terme moins pompeux notre cadre de vie et le timing de notre existence. C’est peut-être cela qui donne cet amour secret de l’obligation : la sécurité du contrôle de l’avenir. Il faut… est la formule qui donne prise – autant que faire se peut – sur ce qui va arriver.
Une anecdote pour illustrer cela : du temps où j’étais prof, une de mes collègues s’est suicidée. Peu importe ici pourquoi, mais ce qui nous a sidérés c’est que le jour de la rentrée, lors de la réunion générale du personnel, le proviseur en nous annonçant la triste nouvelle nous a appris que notre défunte collègue avait laissé une lettre par laquelle est demandait 1° qu’on veuille bien faire une minute de silence en sa mémoire le jour de la rentrée ; et 2° qu’aux vacances de la Toussaint on se réunisse à nouveau pour évoquer son souvenir.
Voilà donc l’extrême de l’obligation ; celle qui prétend contrôler tout ce qui va arriver, même post-mortem. Mais au fond, quand on dit que certains moribonds font jurer à leurs enfants, sur leur lit de mort, de faire telle ou telle chose, n’est pas exactement la même situation ?
2 - Pourquoi est-ce une voie de garage ? J’imagine que Virginia Woolf – et je parle sous le contrôle des spécialistes de son œuvre qui liraient ce Post – pense aux innombrables possibilités qui pourraient éclore à chaque instant et qui se flétrissent sans avoir pu accéder à la vie parce qu’elles ne cadraient pas avec le programme.
Oublier ses engagements et ses obligations, c’est être à chaque instant riche de tous les possibles et c’est le privilège de la jeunesse – voire de l’enfance – même si c’est aussi un risque d’échec.
C’est d’ailleurs ce que disait Nietzsche (dans ce passage de Zarathoustra intitulé Les trois métamorphoses – à lire ici)
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