Monday, October 03, 2011

Citation du 4 octobre 2011

C'est la théorie qui décide de ce que nous pouvons observer.

Albert Einstein

J’en étais à chercher une pensée d’Einstein qui pourrait nous éclairer sur ce qu’il dirait au cas où, ressuscité, il aurait connaissance de ces impertinents neutrinos qui vont plus vite que les photons.

Et je tombe sur cette phrase : C'est la théorie qui décide de ce que nous pouvons observer – et je me dis que depuis l’époque de Galilée, on n’a pas beaucoup appris.

Je m’explique : Galilée, ayant inventé la lunette astronomique et ayant constaté qu’il y avait des montagnes sur la lune et des taches sur le soleil – ce qui contredisait à la théorie aristotélicienne dominante à son l’époque – s’entendit répondre : « Aristote n’a jamais dit qu’il fallait observer le ciel avec une lunette astronomique ».

Et alors aujourd’hui, certains disent : « il est impossible que les neutrinos aillent si vite, parce que la théorie de la relativité dit que c’est impossible… Donc votre observation est fausse.»

Qu’avons-nous donc appris depuis Galilée ? Que les révolutions scientifiques ne se font pas sans dégâts psychologiques (chez les physiciens) ? Qu’elles sont soutenues par les convictions des savants plus encore que par les expériences ?

En tous cas, on voit bien qu’un changement si radical dans la théorie ne va pas sans souffrances : même l’équipe qui a découvert ces neutrinos si véloces dit à la communauté scientifique « Montrez-nous que nous avons fait une erreur, et nous vous remercierons » – et ce n’est pas par modestie.

Maintenant, il y a des scientifiques plus « philosophes » qui disent : « Oh… Si c’est vérifié, il n’y aura pas à changer de théorie. On dira que dans la formule « E=mc2 », hé bien n’est-ce pas, la variable « c » ne désignera plus la vitesse de la lumière mais celle des neutrinos. »

--> Dites-moi pas que les photons, quand ils accélèrent, ils deviennent des neutrinos !

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N.B. Moi, pauvre philosophe, je n’ai pas le bagage scientifique (et surtout mathématique) pour en discuter, pourtant il y a quelque chose de bien embarrassant dans tout ça : c’est que les photons, même quand on les excite et qu’on leur balance de l’énergie supplémentaire, ils n’accélèrent pas ! Rien, pas un epsilon au-dessus des 300000km/s ! Qu’est-ce donc qui les retient, puisque les neutrinos, eux, ils sont capable d’aller plus vite ?

2 comments:

Pierre-Jean said...

Une fois n'est pas coutume, je vais endosser le rôle du contradicteur, car je te trouve dur avec ce pauvre Einstein :).
Pour cela, je vais remettre la citation dans son contexte : elle est tirée du livre de Werner Heisenberg "La partie et le tout" (p. 94). C'est Heisenberg qui relate une conversation qu'il a eue avec Einstein, conversation qui éclaire sous un autre jour la citation incriminée.
Heisenberg explique à Einstein qu'il a supprimé l'idée d'orbites ou de trajectoires des électrons dans l'atome, car "il est raisonnable de n'inclure dans une théorie que les grandeurs qui peuvent être observées" (ce qui n'était pas le cas des orbites électroniques). Ce à quoi Einstein répond que "sur le plan des principes il est tout à fait erroné de vouloir baser une théorie uniquement sur des grandeurs observables". En effet, une observation scientifique un peu complexe (comme celle d'un électron) ne peut pas se faire directement. Elle nécessite notamment un appareillage de mesure, dont nous ne pouvons comprendre les données que grâce à des théories préalables (Bachelard disait quant à lui que "Un instrument, dans la science moderne, est véritablement un théorème réifié."). En particulier, nous présumons que certaines lois naturelles fonctionnent, lois naturelles que seule la théorie nous permet de connaître. Par exemple, si je veux observer un objet au microscope optique, je dois connaître les lois de l'optique. Si ces lois ne sont pas présumées valides, je ne peux pas interpréter le résultat de mon observation (comprendre en quoi l'image peut être déformée, etc.).
En fait, en disant que "c'est seulement la théorie qui décide de ce qui peut être observé", Einstein s'attaque à l'empirisme naïf. Il n'est d'ailleurs pas très original, puisque Popper, Bachelard, Planck, Kojève et bien d'autres ont dit exactement la même chose.

Jean-Pierre Hamel said...

Merci pour ces précisions qui remettent à leur juste place les idées.
Toutefois, ce à quoi je m'attaquais, c'était l'idée que la théorie aurait autorité sur l'expérience effectuée, comme le montre l'exemple de Galilée.
Au fond, il aurait fallu dire que la formule citée change de sens selon qu'elle devance l'expérience ou qu'au contraire elle lui succède.
Ce qui est quand même un peu le cas avec la mesure de la vitesse de neutrinos...