L'autre jour, au fond d'un vallon, / Un serpent piqua Jean Fréron ; / Que pensez-vous qu'il arriva ? / Ce fut le serpent qui creva
Voltaire – Epigramme
Voltaire utilise ici un procédé rhétorique (dont le nom m’échappe si vous connaissez, merci de me le dire) qui consiste à remplacer l’agresseur par sa victime, comme quand on dit qu’un homme particulièrement féroce a mordu son chien. Ici, l’idée est bien sûr que Fréron est tellement toxique, qu’il l’emporte dans ce domaine même sur le serpent. (1)
Mais si on y réfléchi un peu, on s’aperçoit qu’à dénigrer ses adversaires, il se pourrait bien qu’on leur donne une renommée qu’un silence digne ne leur aurait pas assurée. Qui peut croire qu’aujourd’hui quelqu’un de souviendrait de Fréron sans cet épigramme vengeur ? Qui donc – à part à Quimper – se soucierait d’en célébrer ma mémoire ?
En réalité, on peut dire que ce mécanisme est plus simple mais aussi plus retors : il s’agit d’un partage de la notoriété qui s’effectue toujours du plus notable vers le moins notable. Fréron, moins notable, jouit maintenant d’une célébrité qu’il doit à la stature de Voltaire qui l’attaqué. Mais l’inverse se produit aussi.
Voyez le dilemme pour les hommes politiques ridiculisés par des humoristes qui réalisent des chroniques à la radio. Je donne l’exemple de Stéphane Guillon, dont le billet d’humeur a courroucé Dominique Strauss-Kahn – nos lecteurs qui ne seraient pas informés de ces péripéties strictement franco-françaises pourront voir la vidéo ici. L’homme s’est rebellé, il a fait savoir combien cette attaque le blessait et combien elle manquait d’humour. Peine perdue ! Que croyez-vous qu’il arriva ? Ce fut Guillon qui fit péter l’audimat.
(1) Certains voudront appliquer le procédé pour exprimer leur propre rancœur. Les moins imaginatif diront : « Un serpent piqua ma belle-mère, Que pensez-vous qu’il arriva,…etc.». Banal.
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